Dans cet entretien passionnant, Nathan et Brian Knopp de *System Failure* explorent les thématiques chères à l’économiste hétérodoxe Michael Hudson, notamment sur l’histoire de la dette, le pardon des dettes et les jubilés. Hudson, professeur d’économie à l’Université du Missouri à Kansas City, est connu pour ses idées novatrices sur la manière dont les sociétés anciennes géraient la dette, en particulier à travers les jubilés, afin d’éviter que la population ne tombe en servitude par la dette et reste disponible pour servir dans les levées militaires et autres obligations communautaires. Cet entretien aborde également l’évolution de la société occidentale qui s’est éloignée de ces pratiques, tout en réévaluant l’influence de Jésus-Christ dans l’opposition à l’ascension des oligarques créanciers à l’époque gréco-romaine.
L’Importance de la Différence Entre Revenus Gagnés et Non Gagnés
L’une des contributions majeures de Hudson est la distinction entre les revenus « gagnés » et « non gagnés », une idée qui remonte aux économistes classiques comme Adam Smith et David Ricardo. Selon Hudson, ces économistes ont cherché à définir la rente foncière et la rente de monopole comme des revenus non gagnés, c’est-à-dire des prélèvements permis par un privilège juridique plutôt que par une quelconque contribution productive à l’économie. Dans cet entretien, Hudson explique comment cette distinction fondamentale a été progressivement effacée par les économistes du XIXe siècle, en particulier par l’École autrichienne, qui a redéfini la valeur comme étant simplement ce que le marché décide de payer, sans aucune référence à la valeur intrinsèque ou aux coûts de production réels. Cette suppression de la distinction a eu pour effet de déformer la compréhension de la productivité économique, contribuant ainsi à l’érosion des normes économiques et sociales qui limitaient auparavant l’accumulation excessive de richesse par les élites.
L’Évolution du Christianisme et Son Rapport à la Dette
Hudson discute également du rôle du christianisme dans l’économie, soulignant que le message originel de Jésus était en grande partie centré sur le pardon des dettes. Cependant, au fil du temps, ce message a été transformé par des figures comme Saint Augustin, qui ont redéfini le péché et le pardon en termes de moralité personnelle plutôt qu’économique, en occultant ainsi l’accent mis par Jésus sur les questions de justice économique. Hudson explique comment cette transformation a servi les intérêts des oligarchies créancières de l’époque, en particulier dans le contexte romain, où l’économie était dominée par un petit groupe de riches créanciers qui cherchaient à maintenir leur pouvoir en évitant les pratiques de remise des dettes.
L’Impact des Croisades sur l’Économie Européenne
Un autre aspect fascinant de cet entretien est la discussion sur les Croisades et leur rôle dans la consolidation du pouvoir par l’Église romaine. Contrairement à la croyance populaire selon laquelle les Croisades visaient principalement à libérer Jérusalem des forces musulmanes, Hudson soutient que les véritables cibles des Croisades étaient souvent d’autres chrétiens, notamment les Églises orthodoxes orientales et les groupes chrétiens dissidents comme les Cathares. Ces guerres étaient financées par les banques italiennes, marquant ainsi un tournant où l’intérêt pour la dette a été normalisé et intégré dans l’économie européenne sous l’influence de l’Église catholique.
La Revanche des Créanciers : La Réforme Protestante et La Montée du Capitalisme Financier
Hudson poursuit en expliquant comment la Réforme protestante a été en partie motivée par les intérêts financiers, avec des figures comme Calvin qui ont permis de justifier moralement la perception d’intérêts sur les prêts. Cette évolution a pavé la voie à l’émergence du capitalisme moderne, où les États ont commencé à emprunter massivement pour financer des guerres et d’autres projets, consolidant ainsi le pouvoir des banquiers et des créanciers internationaux.
Leçons de l’Histoire pour Aujourd’hui
En conclusion, l’entretien met en lumière les dangers du non-respect des distinctions entre revenus gagnés et non gagnés, ainsi que l’échec à réglementer la dette et les rentes économiques. Selon Hudson, si ces questions ne sont pas abordées de manière adéquate, les sociétés modernes risquent de reproduire les erreurs du passé, aboutissant à des niveaux de dysfonctionnement économique susceptibles de précipiter leur effondrement. Le message sous-jacent de l’entretien est un appel à réévaluer les politiques économiques actuelles à la lumière des leçons historiques, en particulier en ce qui concerne la gestion de la dette et la distribution des richesses.